Le couple et la masturbation
Le couple et la masturbation
Laurent Certain, sexothérapeute.
https://g.page/r/CbuLxpMP1KFZEBM/review
Pis-aller ? Désamour ? Le point sur un sujet sensible, cause de bien des
inquiétudes et de mésententes.
Pour lever tout malentendu je ne vais pas parler ici de la masturbation au sein du couple, dans le
cadre d'une sexualité partagée mais bien de la masturbation vécue en cachette de l'autre.
C’est un sujet récurent dans les consultations de sexothérapie. D’ailleurs le schéma est souvent le
même. Si la plupart du temps c’est l’homme qui s’adonne à la masturbation et la femme qui se sent
trahie, délaissée, trompée, il arrive aussi que les rôles soient inversés.
Est-ce vraiment un hasard si cette pratique dans le cadre du couple est souvent source de tensions ?
Pas certain. Dans notre langage, la masturbation est poétiquement appelée... « plaisir solitaire » ! et
si dans plaisir solitaire, une majorité s’accorde à trouver légitime la recherche du plaisir, il n’en est
pas de même pour l’adjectif « solitaire » ! pourquoi ? Tout simplement parce que beaucoup trouvent
une antinomie entre le mot « couple » et le mot « solitaire ». Si on arrive à admettre que dans le
cadre des loisirs du couple, tout ne doit pas nécessairement être pratiqué ensemble et qu’il est même
salutaire d’avoir chacun son petit jardin (pas forcement secret…), dés lors qu’il s’agit de sexualité
nos principes s’évanouissent !
Quand le pot aux rose est découvert !
Car oui, il est bien rare que l’homme s’ouvre naturellement de son passe-temps à sa compagne…
neuf fois sur dix Monsieur se fait surprendre soit en flagrant délit, soit en n’effaçant pas l’historique
de son ordinateur ! Dans le meilleur des mondes on pourrait s’amuser de la situation et même y
trouver matière à booster sa libido. Malheureusement, c’est rarement le cas, on y trouve plus
souvent un sentiment de tromperie d’un coté et de culpabilité de l’autre.
Si la sexualité reste nimbée de tabou, que dire de la masturbation … trop souvent considérée
comme une activité sexuelle « immature », apanage de l’adolescence, elle est pratiquée la plupart
du temps dans le plus grand des secrets et difficilement avouable.
Lors des consultations, alors même que le patient est là pour s’ouvrir de sa sexualité afin de se faire
aider, je sens bien cette hésitation, cette réticence, lorsque le sujet est abordé. En écrivant ces lignes,
il me revient en mémoire que le « plaisir solitaire » est aussi qualifié d’un autre vocable édifiant :
« plaisir coupable » ! Voila qui en dit long… car oui, c’est bien cette culpabilité, fabriquée de toutes
pièces par une morale islamo-judéo-chrétienne, qui est la source du problème. Cette pratique à
laquelle la plupart s’adonnent, ne devrait pourtant pas être considérée autrement que comme un
plaisir anodin qui nous apporte un peu de bien être, comme une balade en forêt ou une tablette de
chocolat. Ça n’est pas le cas. Cette culpabilité distillée pendant des siècles nous a conduit à un
raisonnement qui, si on prend la peine d’y réfléchir, est dénué de tout fondement et de toute logique
mais néanmoins source de conflit et de souffrance.
Ce qui se passe dans la tête de Cédric, ce qui se passe dans la tête de Julie
Si le scenario qui suit est purement imaginaire, il n’en est pas moins le reflet fidèle d’un
cheminement d’esprit habituel, pour ne pas dire universel !
- Cédric se croit tranquille dans la salle de bains. Julie est endormie.
- Julie ne dort que d’un œil et fait irruption dans la salle de bain
- Julie : tu fais quoi là ?????
- Cédric : …………….
- Julie : tu me dégoûtes ! t’as une femme mais tu préfères faire « ça » ! je ne te suffis pas ?
- Cédric : ……………..
- Julie : et on peut savoir, tu penses à qui en te masturbant ?
- Cédric : ben, à des trucs…
- Julie : des trucs ! Le truc a forcement un visage. Ne me prends pas pour une quiche !
- Cédric : Mais non, et souvent c’est à toi que je pense …
- Julie : attends je résume, je suis dans ton lit mais tu préfères te masturber en pensant à moi ??? tu
me prends vraiment pour une imbécile ! En fait c’est quoi le truc ? Je ne te fais plus envie ? Tu ne
m’aimes plus ? Je ne sais pas faire l’amour ?
C’est ainsi qu’en l’espace de 5 mn et 10 petites phrases, Julie se sent en désamour, trompée et
incapable de satisfaire Cédric.
En ce même espace, Cédric se sent piteux, coupable et dans l’incapacité de se justifier.
Pour autant ne pensez pas qu’il y a un parti pris de ma part, dans ce petit scenario les rôles de Julie
et Cédric sont parfaitement interchangeables !
À noter que le procédé peut être amplifié si le (ou la) coupable s’adonne à la masturbation devant
un support vidéo. Là, la maîtresse ou l’amant deviennent incarnés et par le fait, deviennent ce qui
(supposément) fait envie à l’autre et que… nous ne sommes pas.
Conséquences et réactions en chaîne, d’un fait qui devrait être anodin
C’est bien le drame, faute de recul cet événement sans importance peut avec le temps gangrener la
vie du couple. Peu importe qui des deux se sent coupable et qui se sent trahi, ces sentiments de
culpabilité et de méfiance sont par essence antinomiques avec une sexualité épanouie qui réclame
confiance et lâcher-prise. Dans le pire des cas, cela peut aussi déboucher sur un désintérêt pour la
sexualité, sur des dysfonctions érectiles et sur une mésentente du couple qui peut dépasser le simple
cadre de la sexualité.
ATTENTION, je parle ici d'une masturbation sporadique. La masturbation addictive dont la
fréquence impacte notre quotidien et notre vie sociale est un problème différent.
Ces conséquences peuvent-elles être évitées et comment ?
Oui elle peuvent l’être mais rarement sans aide extérieure. Je m’explique : les couples confrontés à
ce type de situation sont avant tout submergés par l’affect, un affect qui échappe par nature à toute
capacité de raisonnement et à toute objectivité. L’être humain est ainsi fait et, quel que soit son
niveau intellectuel, échappe difficilement à ses émotions, il est des fois où le cerveau s’efface
devant le cœur !
Un couple, même s’il est plein de bonne volonté, manquera souvent d’objectivité, chacun croyant à
la légitimité de sa position, chacun ne voyant dans le dialogue que la possibilité pour ne pas dire
l’objectif, de se justifier. Dans ces conditions, ce qui devrait être une explication sereine tourne
assez vite à la joute verbale stérile, chacun campant sur ses positions. Le but n’est plus d’évoluer
ENSEMBLE vers une compréhension réciproque mais bien de défendre sa position quitte à
dénigrer celle de l’autre. N’oublions pas que dans cette situation chacun se sent blessé, en danger et
que l’instinct de défense recourt à bien des manœuvres, y compris … à une certaine mauvaise foi !
Le thérapeute, libre de tout affect et neutre par définition, sera lui en mesure d’analyser et d’exposer
la situation en toute objectivité, rendant les choses « entendables ». Il n’est pas un avocat, son rôle
n’est pas de faire triompher les idées de l’un sur celles de l’autre, son seul « client » est le couple,
son but est d’aider chacun à comprendre l’autre, à comprendre ses souffrance et ses colères aussi.
Comprendre l’autre c’est déjà lui pardonner mais aussi abandonner ses propres peurs !
Pour conclure, que faut il penser de la masturbation dans le cadre du
couple ?
- La masturbation peut elle être un « pis-aller » (faute de mieux), une alternative de remplacement aux rapports sexuels ?
Hors certaines pathologies qui peut être, pourraient invalider l’un ou l’autre des partenaires et
conduire à cette alternative, on pourrait ranger dans cette catégorie certains couples qui, au fil des
ans et des soucis, se seraient « perdus » sexuellement. Pour ceux là, la masturbation n’est pas le
cœur du problème, il y a d’ailleurs de fortes chances pour que cette alternative n’impacte ni l’un ni
l’autre de partenaires s’ils sont devenus de simples colocataires… pour eux, des thérapies de
reconnexion émotionnelles et sexuelles existent que je ne saurais trop leur conseiller !
- La masturbation est elle synonyme de désamour pour son partenaire ?
Si tel était le cas resterions nous ensemble ? Et dans l’hypothèse où un couple resterait ensemble
pour certaines contingences matérielles ou autres mauvaises raisons, qu’est ce qui pousserait à
choisir cette alternative plutôt qu’une vie sexuelle hors couple ?
Non, je crois qu’il faut remettre la masturbation à sa juste place et ne pas lui prêter de mauvaises
intentions qui ne sont pas les siennes ! Ce dont on ne parle pas assez, ce sont de ses vertus
déstressantes, de la capacité de la masturbation à faire retomber les pressions de toutes sortes, qu’il
s’agisse de baisse de moral, de problèmes de travail etc... certains vont faire du jogging, d’autres…
n’aiment pas courir !
Enfin, pour ceux qui la considéreraient comme immature, comme une pratique régressive réservée à
l’adolescence ou au célibat, j’ai juste envie de dire « oui, et alors ? »
Imaginez que vous ayez toujours adoré le jambon/purée et que demain vous décrochiez l’Euro
million. Vous seriez du jour au lendemain, en capacité de vous nourrir de langouste, de truffes et de
caviar tous les jours ! Quelle chance. En revanche, seriez vous bien sûr de ne plus jamais manger de
jambon/purée ? CQFD
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