Pornographie : de la libération à l’aliénation
Pornographie : de la libération à l’aliénation
Laurent Certain
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De la Belle époque et des premières photos échangées sous la redingote, à l'ouverture des cinémas pornos des années 70 il y avait déjà un monde... Un monde qui séparait les messieurs libidineux en hauts-de-formes, des couples en pattes d'eph' qui vivaient sans complexes la révolution sexuelle d’après 68.
Aurait-on pu prévoir à l’époque, l'explosion technologique et l’avènement d'Internet, qui allaient nous précipiter aujourd'hui dans une pornographie 2.0 ? pas sûr... la science fiction a ses limites !
Les chiffres sont parlants :
aujourd'hui, 1/3 du trafic mondial d'internet est consacré à la pornographie
1 site sur 10 est un site pornographique
28258 internautes visionnent du X chaque...seconde !
Nous sommes bien loin de nos quelques amateurs en haut-de-formes ! Alors, que doit-on penser de ce phénomène et plus largement, de la pornographie ?
La pornographie est-elle révélatrice d'une libération sexuelle ?
Oui et non... si la pornographie est indiscutablement un symbole de banalisation de la sexualité, est-elle pour autant libératrice ? Pas sûr. Encore faudrait-il, pour qu'elle le soit, que chaque « consommateur » soit capable de l'assumer ouvertement et sans honte... beaucoup n'en sont pas là.
Si on se réfère aux chiffres de notre sondage, je n'ai pas l'impression qu'un tiers de mes connaissances seraient suffisamment à l'aise pour me dire « Tiens, hier soir avec Jean Marc, nous avons regardé un film porno qui était vraiment sympa ! ». Ils n'auraient pourtant aucun mal à le faire s'il s'agissait du dernier Almodovar... donc oui, la pornographie reste encore nimbée de quelques lambeaux sulfureux. Le X se regarde mais en secret ! Nous sommes des voyeurs, mais des voyeurs honteux.
Moi ? Je ne regarde jamais de X, je n'aime pas ça
Une affirmation souvent assortie du classique « une fois je suis tombé(e) dessus par hasard, j'ai regardé 2 minutes pour voir ». C'est fou comme le hasard s'entête à nous conduire sur de drôles de chemins...
Pourtant, qu'on l'admette ou pas, l'Homme (avec un grand H, qui n'exclut donc pas les femmes) est ainsi fait, il ne peut physiologiquement rester insensible au spectacle de l'acte sexuel. Il peut s'y soustraire et s'en défendre, au nom de la morale, de principes de bienséance ou par posture, mais il n'y sera pas insensible.
Il y a quelques années, une expérience a été menée dans ce sens par des scientifiques. On a projeté un film X à... des chimpanzés ! Le chimpanzé n’étant pas du genre à s’embarrasser de principes de moralité, il advint ce qu'il devait advenir : nos proches cousins, excités par le spectacle, se mirent à copuler gaiement ! N'en déplaise à ceux qui renient ce cousinage mais l'Homme, s'il veut bien abandonner l'espace d'un instant ses principes éducatifs et ses mocassins à pompons, n'a que peu de raisons de se comporter autrement. Alors ? si nous sommes plus coincés que les chimpanzés, serions nous aussi devenus plus prudes que nos aînés à pattes d'eph' ?
À époque et public différents, usage et comportement différents
Il est difficile de dire avec certitude si, face à la pornographie, nous sommes plus libres aujourd'hui que ne l’étaient nos parents au lendemain de 1968... les temps ne sont plus les mêmes, le public non plus, et la pornographie d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec celle de cette époque.
En 2022, on peut oser avancer que L'ENSEMBLE de la population de plus de 12 ans a déjà été confrontée à du contenu vidéo classé X. Rien de bien surprenant quand on sait qu'à partir de cet age, nous vivons « connectés » en permanence via les ordinateurs, les téléphones portables et autres tablettes... Dans ces conditions, échapper à la pornographie relèverait de la prouesse !
La base des usagers (volontaires ou pas) est donc infiniment plus large aujourd'hui qu'elle ne l’était en 70.
Si la pornographie a fleurie dans ces années 70, elle a principalement concerné un public de 20 à 40 ans, lequel public devait se rendre dans une salle de cinéma à la vue de tout le monde ! Rien à voir avec notre ado qui mate discrètement Pornhub dans sa chambre sur son portable... autant dire qu'il fallait être suffisamment libéré pour oser acheter son billet de cinéma dans ces conditions. Je me demande même si cette audace n'avait pas à voir avec une certaine démarche militante ?
Aujourd'hui, regarder un film X demande beaucoup moins d'engagement et peut être aussi moins de « libération » finalement ?
Les libertaires-libertins d'aujourd'hui, héritiers des pionniers de la Libération sexuelle, ont désormais franchi un cap. En 2022, ceux là qui « osent » et assument pleinement, sont ceux qui ont fini par passer de l'autre coté de la caméra, qui se mettent eux mêmes en scène et diffusent leurs ébats sur des plateformes ou réseaux sociaux dédiés...
Être simples spectateurs d' un film pornographique ne fait plus de nous des êtres libérés ou des rebelles. Tout au plus des consommateurs de stimuli faciles. C'est peut être pour ça que nous ne nous en vantons pas.
La pornographie a-t-elle une portée pédagogique ?
Voilà la grande question... c'est même LA question, celle qui mérite qu'on s'y attarde, tant le sujet est important et même grave.
Il faut s’intéresser aux adolescents en premier lieu, à ces jeunes qui s’apprêtent à entrer dans la vie sexuelle et cherchent légitimement des réponses à leurs questions. À ceux là, que proposons nous en terme d’éducation sexuelle ? Rien. Ou presque rien. Les instances éducatives, soit qu'elles se désintéressent du problème soit qu'elles n'en ont pas conscience, assurent le minimum du minimum syndical en la matière.
L’éducation sexuelle dans le cadre scolaire (collège, lycée) se résume à la reproduction, à la contraception et à la prophylaxie. Les cours étant le plus souvent dispensés par le professeur se SVT ou l'infirmière de l’établissement...
Si avoir quelques connaissances sur la procréation, le cycle menstruel, le stérilet et les gonocoques n'est pas inutile en soi, ne nous leurrons pas. Les ados d’aujourd’hui ont des attentes bien différentes et des questions bien plus « pointues » auxquelles Madame Michallon ( prof de sciences naturelles au collège Sainte Clotilde et bientôt retraitée) n'envisagerait pas deux secondes de répondre. Madame Michallon s'y entend comme personne pour disséquer une grenouille, en revanche elle n'a que peu d'avis sur le point G et la pénétration anale... On ne peut pas non plus en vouloir à Madame Michallon, elle a choisi biologie pour les grenouilles, elle...
Donc devinez où les ados vont tenter de trouver les réponses ??? bravo, je vois que vous avez deviné !
C'est même à se demander si cet état de fait, n'arrangerait pas un peu les adultes qui voient dans la pornographie, pour ne pas dire une aubaine, disons au moins le moyen de se défausser de leurs responsabilités éducatives !
À de nombreuses reprises, j'ai entendu cette phrase dans la bouche d'adultes :
« l' Éducation sexuelle ? Pourquoi faire ? Aujourd'hui avec les sites pornos, les gosses en savent plus que nous ! ».
La remarque peut sembler anodine et même amusante si on n'y prête pas attention... en fait elle est inquiétante car révélatrice d'un constat alarmant :
Cet adulte n'a aucune conscience de ce qu'est le X, de son fonctionnement, des valeurs qu'il peut véhiculer et du potentiel danger qu'il peut représenter pour un esprit juvénile.
L'adolescent, à qui l'adulte (autorité, modèle et caution morale) fait implicitement comprendre que les réponses se trouvent là, n'a pas de raisons de remettre en cause cette autorité bienveillante par essence. Ce qu'il trouvera dans la pornographie sera donc le plus souvent estampillé pour lui « normal » et « légal ».
Il suffit de naviguer sur un site pornographique et de regarder la rubrique « catégories » pour comprendre que sont rassemblés ici tous les fantasmes, y compris les plus bizarres et les plus inavouables. Qu'un adulte avec son expérience et tout son recul d'adulte, y trouve de quoi nourrir son excitation n'est pas un problème. Par contre,qu'un presque- encore- enfant y voit des pratiques considérées comme normales et courantes, pour ainsi dire un « manuel pratique de la sexualité », devient effrayant ! Non le viol n'est pas normal ! Non la scatophilie et la zoophilie ne sont pas des pratiques courantes !
Mais finalement, c'est quoi au juste, un film porno ?
Dans son sens littéral, la pornographie est la représentation d'un acte sexuel dans laquelle les sexes sont ostensiblement visibles.
À l'origine, le film pornographique était construit comme un film classique. Avec un titre, un générique, un scenario et des dialogues. Seul le contenu sexuel (et un peu l’intérêt de l'intrigue aussi, il faut le dire...) le différenciait des autres films.
Aujourd'hui, on ne prend plus cette peine ou très rarement. Le format est plus court, l'intrigue et les dialogues sont réduits à leur plus simple expression. Le réalisateur ne prend plus la peine « d'amener » l'acte sexuel avec un scenario, celui ci est livré « brut de décoffrage » au regard du spectateur. Les scènes intermédiaires non sexuelles sont supprimées au profit d'un contenu exclusivement pornographique. On fait dans l'efficace.
Dernier avatar du genre, le « Gonzo » venu du Japon. Essentiellement basé sur les gros plans et encore plus économique : pour rajouter à l'effet amateur, on fait l’économie du cameraman en confiant la camera aux acteurs eux mêmes !
Autre nouveauté, une palette impressionnante de fantasmes, de pratiques et de particularités physiques en tout genre. Vous voulez que la dame soit en chaussettes ? Il y a. Que les acteurs soient nonagénaires ? Il y a. Vous préférez voir des handicapés ? Des hermaphrodites ? Des religieux ? Des poneys ? Il y a... vous pouvez même affinez votre recherche en multipliant et croisant les critères de sélection... miracle de la technologie informatique qui devrait vous permettre de trouver des vidéos de nonagénaires avec des poneys ou de religieux hermaphrodites en chaussettes...
On pourra donc s'inquiéter avec raison des vertus pédagogiques de tels contenus...
Quel impact et quelles conséquences la pornographie a-t-elle sur les adolescents ?
Les temps ont changé. Je fais un petit effort de mémoire et j'essaye de remonter à mes années de lycée, donc au début des années 80.
Étions nous intéressés par la pornographie ? Indéniablement.
Je nous revois à la maison de la presse, lorgner sur le rayonnage du haut, là où étaient alignés les magazines dits « pour adultes ».
Il arrivait même de ces moments de bravoure où, profitant que la patronne était occupée à encaisser un client, nous osions entrouvrir un de ces magazines tentateurs !
La vidéo existait. Les vidéo-clubs aussi, qui devenaient la grotte d' Ali Baba de tous nos fantasmes... là, dans une minuscule pièce à part, occultée du reste du monde par un rideau rouge et protégée par un panneau « interdit aux moins de 18 ans », se trouvaient les objets du délit !
Il arrivait que mus par une audace toute hormonale, nous osions franchir ce rideau avec des gloussements idiots et un peu gênés.
Louer une de ces cassettes était cependant une autre paire de manches !
L'aventure est arrivée une fois. Nous devions être 5 ou 6 garçons (jamais une fille n'aurait accepté ça et mieux valait qu'elles ne fussent ni les unes, ni les autres, au courant de ce projet) de 16 à 18 ans. Échafauder le plan nous a bien pris deux mois ! Qui allait louer la cassette ? Chez qui allions nous la regarder ? Comment nous assurer que les parents n'allaient pas rentrer inopinément du travail ? Enfin, quels cours allions nous sécher pour nous assurer des 2 ou 3 heures nécessaires à nos desseins libidineux ?
Ce petit récit comico-autobiographique n'a d'autre but que de montrer à quel point les temps et les comportements ont évolué.
Aujourd'hui les filles ne seraient sans doute pas exclues, la stratégie ne prendrait pas plus de 2 minutes, soit le temps nécessaire pour connecter son portable grand écran à l'un des millions de sites, et de choisir sa vidéo. Quant au lieu, un coin calme du CDI suffirait. L'aventure n'a plus rien d'extraordinaire, elle frise la banalité voire le quotidien.
Je ne m'avancerais pas à dire que les adolescents vivent au quotidien avec la pornographie, mais je pense que nous n'en sommes pas loin ou qu'au moins, c'est le cas pour beaucoup.
Le sexe, par ce truchement a investi le quotidien de nombreux jeunes gens, à tel point qu'il a beaucoup perdu du caractère singulier que nous lui accordions jadis. Je suis tombé il y a quelque temps sur un reportage qui traitait de ce sujet et visait non pas les lycéens, mais les collégiens.
Une information m'a tout particulièrement marqué, concernant les habitudes de ces gosses de 11 à 15 ans, relatée par les surveillants du collège : Certaines filles refusaient de faire la bise à certains camarades garçons, invoquant l'absence de relation amicale entre eux. Jusque là ça me paraît logique. En revanche, ce qui me paraît moins logique et proprement stupéfiant, c'est que ces mêmes filles, prodiguaient à ces mêmes garçons... des fellations dans les sanitaires pendant les récréations ! Tout ça sous couvert de jeu, de loisirs et de passe-temps. J'ose espérer que ces pratiques ne sont pas l'habitude du plus grand nombre, néanmoins les faits sont révélateurs de ce changement de statut de l'acte sexuel.
La banalisation du sexe par la pornographie ne peut pas être étrangère à ce phénomène... quand on regarde une vidéo X comme on regarde un clip musical sur Youtube, il est logique qu'à terme la chose nous paraisse banale et donc socialement admise.
Une autre habitude devrait éveiller notre inquiétude, celle qu'ont prise les ados de s'identifier et de suivre les modèles proposés par les vidéos pornographiques.
Pour y voir plus clair nous devons au préalable nous interroger sur la raison d'être de la pornographie, sur les moyens employés et sur les buts poursuivis par cette industrie.
La raison d'être est évidente : fournir une excitation en alimentant si possible, les fantasmes des utilisateurs qu'ils soient des couples en manque de libido, des célibataires en rupture de sexualité ou juste des curieux.
Les moyens employés : des acteurs pro ou amateurs qui mettent en scène ces fantasmes, ce qui va permettre à l'utilisateur timide de les vivre par procuration.
Le but : gagner de l'argent avant tout. Attirer toujours plus de clients en multipliant les sources de fantasme. En l'espace de dix ans, les fameuses « catégories » se sont considérablement enrichies (pratiques, particularités physiques etc...) afin de ne pas laisser passer un potentiel client, fut il amateur de religieux hermaphrodites en chaussettes... Éventuellement créer une habitude, peut être une dépendance.
On comprend bien que cet univers est en grande partie factice, que ces pratiques ne sont pas forcement le reflet de la réalité puisque le client vient précisément chercher ce que LUI ne fait pas.
Le décryptage du porno est simple et même les industriels du X n'en font pas mystère.
Notre ado par compte, n'aura sans doute pas ce même goût de l'analyse. Il y a de grands risques pour qu'il prenne tout ça pour argent comptant et que ses premières expériences cherchent à s'en inspirer. Je ne détaillerai pas par le menu ce que pourrait vivre une jeune fille pour son premier rapport. Je vous laisse imaginer et vous apitoyer.
Un adulte doit il aussi s'inquiéter de la pornographie ?
Tout dépend de l'adulte en question, des enjeux et de l'investissement qu'il y met et de l'usage qu'il en fait...
La pornographie, si on la laisse à la place qui devrait être la sienne ( un petit plaisir un chouia coupable mais amusant qui vient de temps en temps titiller notre libido), n'est que bénéfice !
En revanche, si par tristesse ou désœuvrement on en vient à un comportement addictif et obsessionnel, les dommages peuvent être assez lourds : instabilité émotionnelle, troubles psychiques et désocialisation. Attention ! ces comportements et les conséquences induites peuvent tout aussi bien toucher les adolescents.
À noter également que certains dysfonctionnements sexuels peuvent découler d'une trop grande consommation. C'est le cas entre autre, de l’éjaculation précoce et de l’éjaculation retardée ...un sujet que j'aborderai dans un prochain article !
Pour conclure
Considérez la pornographie comme un bon vin ! Un verre ou deux vous apporteront du plaisir et de la gaîté. Peut être même un sentiment de libération et de gentille désinhibition...
Au delà d'un certain seuil vous perdez pied. Quand vous tombez dans le « trop » et le « toujours » vous sombrez dans l’aliénation. Donc... pour le X comme pour le vin :
Consommons en gourmets !
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