Les injonctions dans la sexualité


 

                                           Les injonctions dans la sexualité


                                                                      Laurent Certain

                                                                  https://g.page/r/CbuLxpMP1KFZEBM/review 



Injonction : « Ordre, commandement précis, non discutable, qui doit être obligatoirement exécuté et qui est souvent accompagné de menaces de sanctions. » 



Obéir, se soumettre … à des lois, des règles. Ce sont les principes de la vie en société. Même si nous décidons de nous y soustraire, nous ne pouvons pas y échapper sans encourir de sanctions.

Nous ne pouvons donc que constater l’évidence : notre liberté est relative. Que nous ayons ou pas coopté ces règles et ces lois, nous sommes contraints d'y obéir.

Ces injonctions « sociétales » sont en général dictées par la justice, la sécurité, l’éducation, la morale et même l'amour. Elles débutent dés notre prime enfance quand nous devons obéir à nos parents (pour notre bien, par amour de nous), elles se poursuivent à l’école (il faut écouter, être sage, faire ses « devoirs ») puis dans notre vie d'adultes (au travail, sur la route etc...) où l'injonction ne se limite pas au seul principe d'obéissance mais peut prendre les noms de politesse, convenances, conventions...

Cette petite genèse de l'injonction n'a d'autre but que de mettre en lumière l'habitude que nous en avons et d'un caractère que nous pourrions presque qualifier d' inné !




Sexualité dernier espace de liberté ?


Pourtant, s'il est un domaine ou nous devrions pouvoir nous soustraire à ces injonctions, c'est bien la sexualité... cet espace qui normalement, ne concerne que le couple, devrait échapper à toute intrusion, à toute obligation et à tout jugement quels qu'ils soient. C'est sans doute pour cette raison que la relation sexuelle est aussi qualifiée de « relation intime » ?

C'est précisément à cette liberté, à ce « lâcher prise », que nous aspirons tous. Nous sommes vaguement conscients que c'est là que se trouve la clé d'une sexualité épanouie. C'est d'ailleurs une des principales motivations en consultation de sexothérapie : l' « oser se lâcher », le fameux lâcher prise.




Qu'en est-il dans la réalité ?


Si l’équation sexualité = liberté est théoriquement admise et souhaitée, la réalité est souvent très différente. Peut être même la sexualité est-elle un des domaines de prédilection de l'injonction, que cette injonction émane directement de l'autre (du partenaire, de l'entourage...) ou que nous en soyons les propres (bien qu'indirects) initiateurs. Ce qui revient à dire que tous ces gens qui, pour la plupart, aspirent à cette liberté, sont les premiers à ériger les barrières qui l’empêchent.






Les différents visages de l'injonction



En y regardant de plus près, ces injonctions pourraient être classées en deux groupes distincts :


- les injonctions morales, qui prennent racine dans notre éducation, dans la famille, dans les principes moraux, la religion, les convenances.

- les injonctions de performance, qui elles sont plus liées à l'image, au schéma sociétal, à des modèles créés par la mode, la publicité, le cinéma...

Les unes et les autres pouvant procéder indistinctement de l' autre ou de soi-même.




Les injonctions morales



Elles sont souvent l’héritage de notre enfance, de notre éducation et des principes qu'on nous a inculqués. Reliquat d'un temps où notre système de pensée restait très lié au modèle parental et à la confiance dans l'autorité de l'adulte. Ces principes, dont certains seront remis en cause pendant l'adolescence, peuvent néanmoins perdurer et rester très ancrés chez les adultes que nous sommes, jusqu'à devenir de véritables obstacles à notre développement sexuel :



La masturbation (ne touche pas c'est sale !)


Les injonctions débutent souvent avec le fameux « ne touche pas c'est caca ! » lorsque l'enfant découvre son corps et les premières expériences masturbatoires. Elles se poursuivent dans l'enfance et l'adolescence, où celui qui se rend coupable de masturbation est voué à une future débilité mentale, à une probable dégénérescence physique, voire à la surdité !

Faut il s’étonner que ces personnes, parvenues à l'age adulte, ne connaissent pas leur propre corps, ni à fortiori celui de l'autre, et éprouvent de la culpabilité, de la peur, voire du dégoût, face au plaisir ? La masturbation on le sait, est un socle sur lequel se construit la sexualité de l'adulte. L’empêcher ou la diaboliser chez l'enfant et l'adolescent, ne peut que fragiliser sa vie sexuelle future.




L’identité sexuelle (tu seras un homme mon fils, mais un vrai !)


Que dire de ces adolescents qui se découvrent homosexuels ou transgenres et se heurtent à un milieu familiale hostile ? À des parents qui n'ont de cesse de vouloir « reprogrammer » leur enfant, persuadés qu'ils sont que cette identité est une erreur, une pathologie, une déviance et qu'au même titre qu'une  maladie , cela se soigne. Les conséquences peuvent être dramatiques et dépasser de loin le simple empêchement sexuel...



Le poids de la religion (Dieu te voit !)


En la matière, point de jaloux. La plupart des religions s'accordent pour condamner, ou au mieux occulter, la notion de plaisir. L'acte sexuel ne se conçoit pas hors mariage et se justifie essentiellement par la procréation. C'est précisément pour qualifier l'acte sexuel hors procréation qu'à été inventé le mot « luxure », la luxure classée dans les fameux « péchés capitaux » ! Difficile pour celui qui a la foi et qui est pratiquant de contrevenir à ces principes...



Le poids des convenances (tu veux déshonorer ta famille ? )


Ici la palette des injonctions est large... rester vierge avant le mariage, ne pas coucher le premier soir (je ne suis pas une fille facile), pas de rapports sexuels si on n'est pas amoureux, ne pas multiplier les expériences, ne pas se prêter aux mésalliances (d'age, de religion, d'ethnie, de classe...), la liste est sans fin. Il s'agit ici de préserver une respectabilité et une moralité, bien plus souvent pour l'entourage que pour soi même d'ailleurs... À noter également la différence de traitement accordé selon qu'on est un garçon ou une fille : si des parents peuvent tirer un certain orgueil des conquêtes amoureuses de leur fils (c'est un vrai Don Juan !) il n'en sera pas de même pour sa sœur qui elle, se « vautrera » avec tout le monde et surtout avec le premier venu ! Les convenances et la bienséance, fruits d'une éducation « comme il faut » ou jugée comme telle, se montre volontiers archaïque et sexiste.




Toutes ces injonctions morales, si elles sont à l'origine induites par des tiers, n'en sont pas moins soumises à notre seule volonté et à notre seul libre arbitre (au moins théoriquement), c'est à dire que dans le cadre même de la relation amoureuse, aucune sanction ni aucun reproche (du ou de la partenaire), ne seraient à craindre. Nous sommes les seuls censeurs et les seuls artisans de nos empêchement, c'est en quelque sorte une injonction acceptée, de soi envers soi. Elle n'en est pas moins forte pour autant.




Les injonctions de performance



Si le vocable « performance » peut sembler curieux à priori, il n'en est pas moins représentatif de ces injonctions qui incitent voire obligent, à se conformer à un modèle, à une norme ou à des pratiques. Hors de ces normes et de ces exigences, point de salut ! C'est du moins ce qu'on voudrait nous faire croire. Si dans certains cas la personne peut s'obliger seule ( pour « coller » à une image, soit que cette image est considérée comme un idéal « supposé » personnel, soit qu'elle est envisagée comme un préalable obligatoire à la relation ), ces injonctions sont souvent le fait du / de la partenaire ou de modèles imposés par la société.

Ici aussi, ces diktats peuvent porter sur beaucoup de domaines :



Le physique (je dois donner envie et susciter le désir)


Cela commence évidement par les clichés les plus éculés : le corps idéal, apte à séduire l'autre, ne peut être que mince, ferme et musclé. Il n'est qu'à constater pour s'en convaincre, les fortunes engagées dans les publicités qui promettent ces résultats, et la prolifération des rubriques dans les magazines tant féminins que masculins. On nous vend dans ces publicités, le corps idéal, celui sans lequel nous nous trouvons relégués au rang d'article de deuxième choix. On ne sait plus vraiment si l'offre répond à la demande ou si l'offre crée le complexe...

Le travail de conditionnement ne s’arrête pas là et se poursuit avec plus de précision, via l'offre érotico - pornographique du Net. Ici, le sein se doit d'être ferme et volumineux, la fesse dure et rebondie, le pénis long, gros, tendu comme un arc et infatigable. Si un corps mince et musclé peut, à la rigueur (et pour ceux qui le peuvent), s'obtenir avec beaucoup d'efforts et de volonté, quid des seins et du pénis ? Les premiers peuvent s'adapter, pour peu qu'on en ait les moyens pécuniaires, qu'on ne tremble pas devant un bistouri et qu'on ne soit pas allergique au silicone... le pénis de 14 cm quant à lui, n'a que peu d'espoir d'atteindre les mensurations de monsieur Siffredi. Le rêveur devra en faire son deuil.


Toujours au chapitre des injonctions, il en est une qui mériterait presque un chapitre à elle seule, je veux parler de l’épilation dite « du maillot » ! Un phénomène de mode né dans les années 90 aux États Unis dans le milieu de l'aérobic qui s'est ensuite emparé de la sphère pornographique pour enfin gagner l'ensemble de la population. Si vous le voulez bien, parlons chiffres.


Des études existent qui nous apprennent que :

  • 80 % des femmes s’épilent le maillot

  • la quasi totalité des 18/25 ans s’épilent le maillot intégralement


Parallèlement, ces mêmes études nous apprennent que :

  • la quasi totalité des femmes ne s’épileraient pas si leur sexe n’était pas exposé aux regards.

  • 50 % des femmes avouent s’épiler à la seule demande de leur partenaire.


Au delà d'un sujet qui peut paraître anecdotique et prêter à sourire, ces pourcentages restent très révélateurs de l'injonction exercée, ici de l'homme sur la femme. Si je n'ai pas trouvé de sondage chiffré sur le caractère impérieux de ce diktat, j'ai cependant eu l'occasion de m'entretenir avec des femmes qui m'ont confirmé les faits : beaucoup de leurs partenaires auraient refusé tout contact si elles n'avaient accédé à leur exigence. C'est à méditer.



L'acte sexuel, chapitre 1 (le programme officiel avec figures imposées)


Nous entrons maintenant dans le « vif du sujet ». Nos candidats ont triomphé de toutes les épreuves, ils ont réussit à faire fi de leurs principes éducatifs, à oublier l'espace d'un instant les recommandations de la Bible du Coran ou de la Torah, se sont approchés au plus près du corps mince et musclé dont ils rêvaient et sont épilés de frais. On pourrait penser que le reste n'est que formalité agréable ? Non. Ici commence un autre combat et pas des moindres, il s'agit maintenant de se montrer à la hauteur, d'obtenir si possible le Graal tant convoité, à savoir la mention « bon coup » !

Que le mode « léger » de cette présentation ne nous fasse pas oublier la réalité des choses : OUI il y a pour beaucoup un réel enjeu dans l'acte sexuel, un vrai besoin d'être rassuré quant à ses propres capacités non pas à prendre du plaisir, mais d'apporter du plaisir à l'autre. D'être performant. Cette appréhension se rencontre d'autant plus souvent chez la personne célibataire dont la sexualité est en sommeil depuis la séparation. Il peut même arriver qu'une potentielle nouvelle rencontre soit sabordée par cette peur de l’échec, par cette crainte de « ne plus savoir comment faire ».

Comment faire justement ? Facile ! il suffit de suivre la notice. Car oui, l'acte sexuel jusque dans son déroulement n’échappe pas aux injonctions, à cette espèce de « code de bonne conduite » qui finit par ressembler à un mode d'emploi universel. C'est un peu comme le programme imposé en patinage artistique...

C'est acté, tout rapport sexuel DOIT débuter par les préliminaires. « Préliminaires »... cette notion mérite qu'on s'y arrête. Préliminaire à quoi d'ailleurs ??? en fait on le sait bien : préliminaire à la PENETRATION. De fait, dans ce déroulement, la pénétration devient LA finalité de l'acte, tout ce qui précède ou suit n'est que garniture... on pourrait s'amuser à faire le parallèle avec un menu :

Hors d’œuvre, PLAT PRINCIPAL, fromage, dessert.

Il est amusant de noter que ce déroulement conventionnel se retrouve aussi dans les films pornographiques avec une récurrence immuable et une précision digne d'un chronomètre Suisse !



L'acte sexuel , chapitre 2 (tout le monde le fait sauf toi !)


Comment parler des injonctions dans la sexualité sans parler de cette pression d'un partenaire sur l'autre, concernant des pratiques voulues par l'un, refusées par l'autre ?

Le curseur n’étant pas identique pour chacun d'entre nous, ces injonctions pourraient sembler ne pas en être pour tous, certains pourraient n' y voir que des exigences légitimes... sauf que dans le terme « exigence légitime », il y a aussi le mot EXIGENCE.

Dans la liste (non exhaustive) de ces exigences/réticences on pourra donc trouver :

  • certaines positions (la levrette peut être considérée comme dégradante par exemple...)

  • la fellation, le cunnilingus

  • la sodomie

  • certaines pratiques assimilées au sadomasochisme (les liens, la fessée...)

  • la pluralité (plans à 3, échangisme etc...)



L’appétit sexuel (qui ne vient pas toujours en mangeant...)


Là, nous touchons LE point de discorde de beaucoup de couples... cette situation où l'envie et la fréquence des rapports sexuels ne s'accordent pas chez les partenaires. Force est de constater que dans la majeure partie des cas, c'est l'homme qui est le plus en demande. Un homme qui d'ailleurs n’hésite pas à mettre en avant un « BESOIN », une quasi nécessite biologique qui, faute d'être satisfaite ne pourrait déboucher que sur une catastrophe physiologique et anatomique ! J'ai entendu en la matière des choses surprenantes et souvent amusantes, des histoires de testicules qui gonfleraient au point de risquer l'explosion, ou qui encore, faute de purge salvatrice deviendraient... bleus ! Qu'on se rassure, je n'ai jamais eu connaissance d'explosion de testicules, ni de bleuissement (même d'un vague bleu ciel).

Par contre, lorsqu'elle prend cette forme particulière, l'injonction confine à la manipulation : la femme, faute d’obtempérer n'est plus seulement « réfractaire » mais devient bel et bien RESPONSABLE de la santé et de l’intégrité physique de l'homme !

Cet état de fait n'est pas nouveau, il est de toute façon au moins aussi vieux que le vocable « devoir conjugal » qui ne date pas d'hier... Tout le monde aura saisi que le seul mot « devoir » en dit long.


L'orgasme (le Saint Graal pour tous)


« L'orgasme pour tous ». Évidemment, l'intention est belle, grande et louable, personne ne dira le contraire ! Chacun a envie de connaître ce petit moment d'extase et éventuellement, d'être l'artisan de ce plaisir pour l'autre. Alors quoi ? Juste qu'il ne faut pas que cette recherche du plaisir se transforme en challenge, en obligation de performance. Un proverbe (asiatique sans doute ?) dit en substance la chose suivante : « Le plaisir du voyage se trouve dans le cheminement bien plus que dans la destination ». Je trouve ce proverbe aussi beau que sage... judicieuse aussi, la transposition qu'on pourra en faire dans notre voyage en sensualité.

Chercher à tout prix l'orgasme, y mettre un point d'honneur jusqu'à en oublier de profiter du voyage, à réduire notre plaisir à un principe mécanique, est à mon sens le plus sûr moyen de ne pas arriver à destination !

Certains autres iront encore plus loin dans la quête, ne jurant que par « l'orgasme simultané ». Imaginez : un timing parfait, calculé, maîtrisé. Un orgasme de précision, digne de la NASA !

L'exigence ultime serait que les cris de plaisir des partenaires soient accordés en Ré dièse Majeur...





Conclusion



Après ce petit état des lieux, peut être vous êtes vous reconnu ici ou là ? Dans telle ou telle situation ? Peut être aviez vous conscience de ces injonctions ou peut être pas ? Peut être enfin, aurez vous trouvé cet exposé déprimant ? vous auriez même pu vous passer de le lire puisqu 'au fond, tout ne se passe pas si mal dans votre sexualité...

C'est vrai. Mises bout à bout, ces injonctions pourraient faire passer le rapport amoureux pour un parcours du combattant, pour un renoncement fataliste à sa liberté et à son libre arbitre...

Cependant, je suis persuadé que c'est en identifiant les problèmes qu'on arrive à y faire face ! Sachant quelles sont les barrières, libre à vous de vous employer à les faire tomber !

Pour finir sur une note d'espoir, permettez que je jette en vrac quelques pensées qui peuvent devenir des petites pistes de réflexion :


  • Ce que vos parents ont pu vous inculquer en matière de sexualité, n'est pas forcement une vérité. Il y a de grandes chances qu'ils le tenaient eux mêmes de leurs parents, qui eux mêmes le tenaient etc... à ce compte là, si jamais personne n'avait jamais rien remis en cause, nous en serions encore à nous comporter comme des néandertaliens. Remettre en cause certains principes éducatifs de ses parents, ne signifie pas qu'on les aime moins ou qu'on leur manque de respect.

  • La religion quelle qu'elle soit, n'a jamais rien empêché en terme de sexualité. Les injonctions sont pour la plupart, nées de l’interprétation abusive de religieux qui souvent se dispensaient eux-mêmes d'y obéir...

  • Les canons de beauté ont bien peu à voir avec le pouvoir de séduction et une sexualité épanouie. C'est d'assumer son physique qui rend séduisant.

  • Notre corps nous appartient, si l'autre nous a choisi c'est bien qu'il lui plaisait ? Nous ne sommes donc pas tenus de nous soumettre aux opérations de « tuning » qu'il voudrait nous imposer.

  • Faites l'amour comme bon vous semble, sans ordre et sans programme ! Le plus sur moyen de donner du plaisir à votre partenaire est de vous même en prendre dans ce que vous faite ! Ne soyez ni technicien ni élève appliqué...Soyez curieux, soyez joueur, soyez gourmand, le reste suivra !



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